lemonde.fr : Les « lits froids », un mal persistant dans les stations de sports d’hiver

Les « lits froids », un mal persistant dans les stations de sports d’hiver Clément Guillou Avec son « plan montagne », le gouvernement tente à nouveau de s’attaquer au problème des appartements inoccupés, qui sapent le modèle économique du tourisme.

Dans leurs cauchemars, les maires de stations de sports d’hiver voient des volets clos. Ces stores baissés onze mois sur douze, qui quadrillent les barres héritées du « plan neige » des années 1960, symbolisent un mal persistant du tourisme de montagne : les « volets clos » ou « lits froids ». Ce sont ces lits inexploités au centre des stations, des appartements dont les fenêtres s’ouvrent moins de quatre semaines par an. Résidences de tourisme, meublés ou résidences secondaires. La non-occupation de ces logements induit, selon les estimations de certains élus de montagne, une perte virtuelle de chiffre d’affaires proche de 50 % pour les stations les plus touchées.

Le phénomène est significatif, mais mal quantifié, alors qu’il constitue, selon les experts, le nœud du problème de rentabilité des sports d’hiver en France. Pour une raison simple : chaque année, de 1 % à 3 % des lits touristiques en montagne sortent du marché. Les propriétaires ne souhaitent ou ne peuvent plus commercialiser ces logements décatis et étroits, où s’entassaient les skieurs de la France du champion olympique Jean-Claude Killy. Certes les mieux situés, mais si mal isolés thermiquement qu’ils deviennent fatalement des lits froids.

Les « volets clos » constituent entre le tiers et la moitié de l’hébergement touristique en station, selon une estimation de 2010. Comme le disait poliment à l’époque la mission mandatée par le gouvernement, « d’aucuns pourraient être interpellés par la modestie de ces taux d’occupation, eu égard à la rareté et à la cherté du foncier que l’accumulation des hébergements et équipements touristiques a engendrées et aux investissements publics de tous ordres qu’ils ont occasionnés ».

« Des pis-aller »

Compenser cette érosion régulière de l’hébergement touristique en montagne « nécessiterait la création de 3 000 à 5 000 lits chaque année, pour un coût estimé à 100 millions d’euros environ, diagnostiquait la Cour des comptes en 2018. Mais le lancement de nouveaux programmes pour compenser cette diminution se heurte aux contraintes de disponibilité du foncier. » L’option de construire des hôtels ou de nouvelles résidences de tourisme reste, dans les faits, plus efficace que les tentatives de remettre ces « lits froids » sur le marché. Elle constitue pourtant une absurdité écologique, comme en conviennent certains acteurs de l’or blanc. Et économique, car aucune station n’est jamais remplie à 100 % durant une saison.

Différents dispositifs ont été mis en place pour encourager les opérations de réhabilitation. Sans réel succès

Quoique imparfaitement quantifié, le problème est connu depuis de longues années et se pose avec plus d’acuité chaque hiver, avec la fin des dispositifs de défiscalisation et la disparition de certains exploitants. Il a pourtant été soigneusement ignoré par la plupart des opérateurs de la montagne : dans un rapport publié en septembre 2020, l’organe de promotion touristique Atout France pointe du doigt « une vision court-termiste » et « plus confortable pour les opérateurs publics », qui les a conduits à encourager de nouvelles constructions, génératrices de ressources fiscales.

Différents dispositifs ont pourtant été mis en place pour encourager les opérations de réhabilitation, à coups de subventions et incitations fiscales. Sans réel succès. La Foncière Rénovation Montagne, mise sur pied en 2013 par la Caisse des dépôts, la Compagnie des Alpes et un pool bancaire, n’a rénové que 500 appartements. Rien ne marchera, explique en substance Atout France, tant que les stations de montagne regarderont le seul intérêt touristique à court terme, sans prendre en compte les intérêts des propriétaires des logements.

Pour Eric Adamkiewicz, chercheur en développement territorial à l’université Toulouse III-Paul-Sabatier et ancien directeur général des services de l’Office de tourisme de Bourg-Saint-Maurice-Les Arcs (Savoie), « le statu quo arrange tout le monde : les nouveaux lits augmentent la fréquentation à court terme des remontées mécaniques et font travailler le BTP local. Sauf que la nouvelle résidence attire tout le monde et les anciennes tombent en désuétude. C’est pour cela que les opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisir [ORIL] et les foncières sont des pis-aller. Tant que les communes ne garderont pas les lits en gestion directe, elles seront dépendantes des propriétaires ; qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un grand groupe qui, demain, peut décider que la montagne française n’entre plus dans ses plans ».

« Compliqué d’avoir une règle uniforme »

Le « plan montagne » en gestation au gouvernement s’attaquera-t-il à cette problématique ? « C’est l’éléphant dans la pièce, on ne peut pas le passer sous silence. Je souhaite que ce plan d’investissement montagne soit l’occasion de progresser encore sur ce sujet », dit le secrétaire d’Etat chargé du tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, tout en admettant qu’il n’a pas de solution miracle.

Selon lui, les expérimentations menées par Atout France dans treize stations touristiques, dont dix en montagne, sont encourageantes et devraient être étendues à plusieurs dizaines d’autres villes. « Il faut arriver à montrer aux propriétaires l’intérêt qu’ils ont à procéder à des travaux de rénovation, thermiques ou de décoration. Il est compliqué d’avoir une règle uniforme qui solutionnerait d’un seul coup le sujet. Cela appelle du sur-mesure et, d’une station à l’autre, les solutions seront peut-être différentes. »

La puissante Compagnie des Alpes – dont l’Etat est le premier actionnaire à travers la Caisse des dépôts – plaide pour une évolution législative plus coercitive face aux propriétaires : « L’arsenal juridique, c’est un sujet majeur, argue son président, Dominique Marcel. Il nous permettrait d’avoir une politique plus volontariste. Si vous ne pouvez pas remettre l’immeuble aux normes, si vous ne pouvez pas refaire les parties communes, vous rénovez les appartements pour rien. C’est la quadrature du cercle. »

Une sorte d’agence nationale pour la rénovation urbaine de la montagne, qui imposerait aux copropriétaires de rénover ces résidences afin de les rendre à nouveau commercialisables ? Le gouvernement n’y est pas favorable. « Une évolution législative aurait-elle l’efficacité recherchée, dans le respect du principe constitutionnel de propriété ? Cette équation n’a jamais vraiment été résolue », estime Jean-Baptiste Lemoyne. Les lits froids devraient perturber le sommeil des maires de station quelques années encore.

Source : https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/02/23/les-lits-inexploites-mal-persistant-du-tourisme-de-montagne_6070899_3234.html

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